Texte écrit par Frédérique Bouglé à l'occasion de l'exposition au Musée d'art contemporain à Dôle, France1999

C’est la cause du motif qui pousse le motif à se répandre
Pas une œuvre d’allégorie , mais une œuvre palimpseste

Dans la tradition musulmane la représentation humaine est proscrite , et ce sont les motifs de l’écriture qui font sens sur le sens de l’écriture , et sur l’essence de l’espace ou les motifs du songe s’enracinent . Batoul S’himi est née à Asilah , sur la côte proche de Tanger . C’est une petite ville assez plat au ciel soyeux immense , qui dans ce premier spectacle pour un espace premier, broda dés son enfance les problématiques initiales de cette artiste fascinée par les miroirs .l’idée du reflet est aussi chère à l’islam pour lequel toute manifestation du monde terrestre est un reflet du monde céleste , c’est un double qui ressemble à son image originelle. De même en cosmologie les étoiles que l’on regarde ne sont pas à la place où on les voit , puisque les lumières de leurs images suivent la courbure d’un espace déformé par la matière , et nous parviennent déphasées et en retard dans des décalages spatiaux / temporels. L’image se répète en double , et parfois davantage , quand les images transmissent par l’espace se répercutent dans un palais de miroirs à multiples facettes .Le motif ornemental tel que l’utilise l’artiste avec ses tissus brodés de petits objets kitsch se répète aussi , et le motif floral original , symbole vivant de l’écriture , ne sera pas moins repérable qu’une galaxie. Sa démarche artistique participe de cette vision à la fois spirituelle, poétique et scientifique, et trouve l’aboutissement de son langage dans le système de la méthode choisie. Batoul part d’un fragment de réel, morceau d’étoffe imprimé qu’elle va coller sur une surface vierge où viendra se confondre la continuité d’un motif. Mais le motif est double, il fonctionne au sens propre et figuré, à la fois sujet premier de l’ornementation, et principe stratégique de recouvrement : c’est la cause du motif qui le pousse à se répandre .Il représente la structure d’un modèle qui va disséminer son représenté et sa parole dans le territoire blanc de la plénitude insoumise. C’est une totalité dans un principe de répétition et de différence, de ressemblance et d’écart, et une surface sauvage en attente d’être conquise par la trame florale .Ainsi , le fragment rejoint une totalité de répétition et de différence , de ressemblance et d’écart, et dans l’effacement du vide que gomme la saturation du motif en déploiement .Quant l’artiste utilise des photographies c’est encore ce principe qui ressurgit , mais de manière encore plu tautologique pour atteindre son paroxysme dans la mise en abîme du sujet. Le motif global rassemble un inventaire illimité de motifs répertoriés , sorte de patchwork qui assemble différents carrés d’étoffes photographique. La pièce ainsi
confectionnée offre autant de niveaux de lecture possible .De loin elle ne révèle que l’abstraction d’un seul motif soudé d’images qui n’en sont plus , alors que de prés c’est l’univers schizophrénique d’un kaléidoscope qui se multiple dans la rupture en affolante des motifs imagés , là ou le regard cherche désespérément à se poser. L’œuvre produite par Batoul S’himi n’est pas une œuvre d’allégorie , ce serait davantage une œuvre palimpseste , qui en recouvrant des supports vierges efface les figures des motifs qu’elle applique.
A Dole l’artiste a réalisé une installation lumineuse et subodorant intitulée Le lever du jour. A l’entrée du Musée et au carrefour des salles d’exposition Batoul a disposé au sol un tapis de forme circulaire parfaite et quatre mètres de diamètre .Composée de cinquante Kilos de poudre d’épice orangé , l’œuvre appelle d’autres sens , quand les fragrances capiteuses se mêlent aux festivités traditionnelles marocaines. L’artiste a recourt ici à un rituel nuptial initiatique en rapport à la main : en figure emblématique de virginité on pose un cercle d’henné dans la paume avant des retirer un bracelet orné de petites pointes défensives .Dans l’installation en question , en lévitation au dessus de la duvetine épicée , un anneau métallique suspendu en oblique et de même diamètre que son tapis poudré , distribue cinq séries d’autant de petites ampoules aux décharges électriques nerveuses , et dont les électrodes rappellent étrangement la forme du piment rouge et les cultes du feu : feu gustatif de l’épice , feu sacré de l’auréole , comme celle que l’on peut voir sur un volet du triptyque d’un anonyme comtois dans la salle XVII du musée. Si d’après les soufis , le cœur de l’homme ressemble à une lanterne dans laquelle se trouve sa conscience la plus secrète , dans la symbolique romane la mandorle valide la gloire cerclée de l’amande autour de laquelle rayonne une vibration de raies lumineuses .Et si le chiffre cinq tend à se répéter ( cinquante kilos d’épices , cinq séries de ampoules) c’est pour mieux ricocher sur les nombreuses figures de rhétorique auxquelles ce chiffre est lié : les cinq doigts de la mais , les cinq piliers de l’islam , les cinq heures de la prière , les cinq sens corporels , les cinq élément naturels(feu , air , terre , eau , éther) , les cinq planètes traditionnelles ( en dehors des luminaires déjà présents dans l’œuvre , soleil et lune) , et enfin le pentacle qui conjugue le premier impair et le premier pair , le masculin et le féminin 3+2 .Mais libérée de tant de symboles l’œuvre au niveau formel se soulève d’elle – même : comme le faisait remarquer Etienne Bossut , un artiste français présent le soir du vernissage , nous sommes surtout ici …au levier du jour !

Texte écrit par Frédéric Bouglé à l’occasion de l’exposition au musée d’art contemporain à Dôle , France.

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